Petit journal du retour sur la gestion d'une crise sanitaire
Pourquoi le 11 mai ? Nous nous posions déjà cette question le 14 avril à l'issue de l'allocution présidentielle. Cette question en ces temps de pandémie de COVID-19 vient après bien d'autres et s'accompagne de tant d'autres encore aujourd'hui.
Faisons un tour d'horizon. Et entrons un peu plus dans le détail alors que la date fatidique approche.
Le Président de la République l'a donc décrété : le jour du déconfinement et de la reprise sera le 11 mai. Qu'est-ce qui a motivé ce choix ? Pour reprendre la parabole jupitérienne, nous ne sommes pas dans le secret des Dieux et il semble que la cacophonie règne quelque peu en haut de l'Olympe, entre les ministres - dont le premier d'entre eux - et autres portes-paroles au sommet de l’État. |
Cela pourrait presque prêter à sourire s'il n'y avait en jeu et en péril des vies humaines, celles des victimes directes et celles des personnels soignants et de tous les personnels en 1ère ligne dans la gestion de la lutte contre le virus.
Depuis le début, lors du déconfinement comme lors du confinement, les mesures prises d'en haut sentent l'impréparation et l'improvisation. Certes nous ne pouvions imaginer le COVID-19 début décembre au début du conflit sur les retraites où le virus commençait à peine son effroyable parcours (le premier cas détecté à Wuhan date du 17 novembre 2019). Mais quelques semaines plus tard de premiers signes auraient dû alerter le gouvernement. Et ils auraient dû l'encourager à agir dès lors qu' « une information encore incertaine laisse penser qu’un nouveau virus grippal à potentiel pandémique est apparu et a commencé à se transmettre dans une population » (plan pandémie 2011). C'est ce que semble dire a posteriori l'ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn quand elle déclare avoir « envoyé un message au président sur la situation » dès le 11 janvier 2020. Le 31 décembre 2019, la Chine a en effet informé l’OMS de cas de pneumonies graves et d’origine inconnue à Wuhan, ville de 11 millions d’habitants. Malheureusement le plan pandémie, dernière actualisation en 2011, a été oublié depuis lors sur les sites informatiques du gouvernement et du ministère de la Santé français.
C'est le 29 février qu'est convoquée l'Assemblée nationale pour un débat sur le COVID-19 au cours duquel l'exécutif apparaît plus préoccupé de recourir à la sauvette au 49.3 pour passer sa réforme des retraites. C'est le 12 mars au soir qu'Emmanuel Macron annoncera la fermeture des écoles, collèges, lycées et universités. Le 16 mars au soir, c'est le « confinement » à compter du 17 mars qu'il annonce.
Aucune mesure n'a ensuite été prise pour réquisitionner les forces productives pour fabriquer ici en France ce qui nous manquait en terme de masques, de tests, de bouteilles d'oxygène...
Tout juste des mesures incitatives en direction du monde de l'entreprise... comme en matière de redistribution de dividendes.
Le « déconfinement », finalement c'est quoi au juste ?
Chacune et chacun ne peut que se réjouir de la baisse apparente des courbes liées aux dégâts humains et sanitaires du COVID-19 en France mais – et les exemples étrangers le prouvent - ces évolutions restent fragiles en l’absence de traitements avérés et en attendant un hypothétique vaccin. Elles restent donc soumises aux mesures de précaution sanitaires pour lesquelles les manques constatés au début de la pandémie ne sont manifestement pas encore comblés et où s'impose le règne de la débrouille et ses incertitudes. Ces mêmes courbes qui voudraient nous rassurer aujourd'hui risquent donc fort de rebondir en cas de déconfinement précipité et incontrôlé.
Derrière ces courbes, il y a encore des chiffres que personne n'imaginait lorsque les premiers cas ont été repérés et le premier décès recensé en France. A la date du 27 avril, chiffres arrêtés à 14h et diffusés par Santé Publique France, 24 heures avant le discours du Premier ministre devant l'Assemblée nationale, nous ne pouvions pas oublier ce qui était encore la triste réalité de la pandémie :
depuis le 31 décembre 2019, il y avait déjà 205.923 décès dans le monde dont 23.293 mort.e.s en France (plus de 10% des décès recensés dans le monde, dont 14.497 hospitalier.e.s, très lourd tribut de celles et ceux au cœur de la lutte contre la pandémie), presque 3 millions (2 914 507) cas confirmés dans le monde dont 128.339 en France. 3764 nouveaux cas étaient encore confirmés en France dans les 24 heures précédant le discours attendu d’Édouard Philippe le 28 avril, et malheureusement 300 nouveaux décès en 24 heures rien qu'à l'hôpital. 88712 personnes avaient été hospitalisées dont 28.055 en cours, 964 en plus en 24 heures. 4608 personnes étaient encore hospitalisées en réanimation, 125 de plus en 24 heures. En Moselle, au même moment, il y avait ainsi 635 décès pour les seuls chiffres concernant l’hôpital (+ 9 en 24h), toujours 880 hospitalisations (-10 en 24h) et toujours 125 personnes en réanimation (-5 en 24h). |
Du « confinement » toujours à géométrie variable ?
La carte des départements « verts » et « rouges » est, depuis le discours d’Édouard Philippe (éloquent d'une imprécision nourrie des certitudes du premier de cordée de l'exécutif – le président de la République), une sorte de carte de météo du « déconfinement »... mais un « déconfinement » dont on ne sait exactement ce qui le différencie du « confinement ». Nous pourrions nous dire que cela pourrait nous rassurer pour notre santé, mais rien malheureusement ne laisse à penser que ce soit le cas. Parce que, déjà, le « confinement » n'en a pas été un intégral, parce que des entreprises ont poursuivi leur activité sans apport nécessaire à la lutte contre la pandémie, exposant inutilement des salarié.e.s sans prendre toujours les précautions sanitaires nécessaires.
On nous explique que la carte du déconfinement est établie à partir de trois autres. La première reflète la part des passages aux urgences qui concernaient des suspicions de Covid-19 (confirmées ou non) sur les sept derniers jours.
La deuxième carte classe les régions, et ainsi, les départements qui les composent en fonction de la part des lits en réanimation habituellement ouverts qui sont aujourd'hui occupés par des malades du Covid-19. Cette seconde carte reflète les conséquences des politiques de rigueur qui ont amputé les capacités de réaction de notre système de santé et les logiques comptables des Agences Régionales de Santé... quand le déconfinement est envisagé départementalement.
Quant à la 3ème carte, censée refléter l'avancée dans la politique de tests, elle est indisponible à cette heure. Ces tests sont pourtant fâcheusement au cœur de la capacité de protection des populations quant à leur nombre et leur fiabilité relative, tout comme les masques quand la gratuité de ceux-ci n'est même pas au rendez-vous pour la population sans compter les besoins des personnels soignants. Déconfinement : une mise en musique hasardeuse de la parole présidentielle |
Aujourd'hui, les scientifiques essaient de comprendre pourquoi le virus semble toucher plus certaines régions que d'autres en dehors des mesures de confinement et des événements déclencheurs, comme le rassemblement évangéliste à Mulhouse.
« La bête s’obstine sur quelques territoires et ne semble pas avoir l’intention d’en sortir. Dix départements concentrent la moitié des décès : Paris, Val-de-Marne, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Haut-Rhin, Moselle, Val-d’Oise, Bas-Rhin, Rhône et Seine-et-Marne. À l’inverse, seize départements comptent moins de dix morts cumulés depuis le début de l’épidémie » lisait-on dans la presse (Médiapart) le 30 avril.
A partir d'un événement déclencheur, la maladie se répandrait d'un lieu clos à un autre : appartements, transports en commun, maisons de retraite, hôpitaux..., avec un phénomène d'auto-amplification.
Ainsi plus on serait exposé à une forte dose infectieuse, plus on développerait des symptômes graves et plus on serait ensuite soi-même contaminant pendant une plus longue période. D'autres facteurs pourraient également jouer comme le taux de particules en suspension polluant notre air, sans compter qu'elles seraient susceptibles de porter de microgouttelettes du virus durant plusieurs heures. Pas de quoi répondre à la demande du MEDEF d'«un moratoire de l'ordre de six mois» concernant un projet de décret en cas de dépassement récurrent des normes concernant la qualité de l'air.
D'où l'importance de connaître ce que les données officielles disponibles sur l’épidémie ne renseignent pas, c'est-à-dire les modes de contamination, les caractéristiques sociodémographiques (lieu de vie notamment logement, entourage familial, loisirs collectifs, activités associatives...) et surtout socioprofessionnelles (activité professionnelle, utilisation des transports...) des personnes atteintes. |
C'est ce que demande au Premier ministre et au ministre de la Santé la lettre ouverte « Nous devons savoir ! » signée entre autres par le porte-parole de Solidaires Eric Beynel.
Les signataires observent : « quand on constate encore des milliers de nouveaux cas confirmés (pas seulement les patients hospitalisés) au bout d’un mois, puis de 6 semaines de confinement, il nous semble essentiel de savoir quelles sont les circonstances de ces contaminations et qui elles concernent, comme cela avait pu être fait au tout début de l’épidémie ».
Quid des masques ?
Le 28 avril, avec un taux de 9,1 personnes testées pour mille, la France se situait toujours très loin de la moyenne des pays de l’OCDE (23,1 personnes testées pour mille). Pour comparaison, le Luxembourg voisin était à 64,5 personnes testées pour mille, l'Allemagne à 25,1, la Belgique à 18,4.
Comme le souligne également un article de Médiapart (« Covid-19: des masques «grand public» pour cacher la pénurie »), « faute de masques chirurgicaux, le gouvernement a créé en deux mois une filière de masques anti-postillons en tissu. La France est le premier pays européen à expérimenter massivement ces modèles ni certifiés, ni normés et scientifiquement mal connus. » La norme AFNOR (Association française de normalisation), entendue sur toutes les ondes, n'existe pas, tout juste y a-t-il une spécification qui fait d'ailleurs bondir d'ancien responsable de cette association confronté à des versions antérieures de coronavirus.
Côté entreprises, la qualité relève de la « responsabilité du fabricant », qui est « autorisé » à s'auto-tester. Ce qui n'empêche pas le premier ministre de déclarer et d'ajouter lors de la présentation du plan de déconfinement : « Les particuliers sont bien sûr invités à se confectionner eux-mêmes des masques, dans les conditions recommandées par l’AFNOR et l’ANSM. » Faute de merles, il est vrai qu'on mange des grives...
En effet, faute de mieux, difficile pour des salarié.e.s précaires, mal rémunéré.e.s, contraint.e.s à la reprise sous la menace de perdre demain leur chômage partiel ou leurs congés et ARTT, de ne pas essayer, pour se protéger, de se munir même d'un ersatz de masque... quand l'impératif gouvernemental et du capital est la « continuité économique ». Cependant un masque en tissu, s'il est sans doute mieux que rien, n'en nécessite pas moins que chacun.e, toutes et tous soit masqué.e.s lors d'une rencontre et la distance physique pour éviter la contamination. Encore faut-il également qu'il s'adapte bien à la morphologie du visage... et rien ne figure à ce sujet dans la spécification de l'AFNOR ni dans la « note d’information » interministérielle publiée le 29 mars qui sert de cadre légal à leur fabrication. Sans oublier les conditions de lavage...
Quant à la Direction Générale de la Concurrence, Consommation et Répression des Fraudes, administration chargée de veiller au respect des règles d'étiquetage, de composition et de dénomination des marchandises, elle n'a été que très tardivement insérée dans le circuit de la mise en circulation de ces masques, la secrétaire d’État auprès du ministère de l'Économie et des Finances lui demandant de faire des « propositions » afin d’effectuer des contrôles a posteriori.
Quid des tests ?
Médiapart rappelle également que, face à la pandémie de Covid-19, la France n’est pas en capacité de tester massivement la population, comme l’OMS le recommande depuis le début de la crise sanitaire. Le journal précise que le gouvernement, incapable à ce jour de connaître les capacités des laboratoires sur son territoire à réaliser des tests, s’est tourné vers un cabinet privé pour réaliser un audit. Et d'ajouter : « Ironie de l’histoire, si la France a tant de mal à évaluer aujourd’hui les capacités des labos à réaliser des tests Covid-19 sur son territoire, c’est qu’elle a sciemment décidé de fermer les capteurs qu’elle avait dans les départements à savoir les pôles « 3 E » pour « Entreprises, Économie, Emploi », au sein des DIRECCTE (Les Directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi ). » |
Nous entendions il n'y a pas si longtemps que les tests sérologiques permettaient de pouvoir repérer le virus ayant quitté la zone nasale ignorée par le bâtonnet du test virologique peut-être mal manipulé et nécessitant une certaine technicité... (tout comme les masques et les gants d'ailleurs). Ce 1er mai la Haute Autorité de Santé confirme qu'ils peuvent servir de « rattrapage » en cas de test virologique négatif « à partir du 7ème jour ou 14ème après l’apparition des symptômes », mais « ne [se] substituent pas [aux tests virologiques] ».
Si ils ne sont pas un « passeport immunitaire », la HAS les recommande pour les enquêtes épidémiologiques. Une raison de plus de se demander pourquoi donc prévoir le fichage informatique des contacts d'un cas positif dans le projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire !!!
Ce qui est certain, c'est que, de la même façon qu'avec les masques (hors FFP2), « un relâchement sur les mesures barrières et la distanciation sociale pourrait ainsi augmenter le risque d’une nouvelle vague épidémique ». Le test ne doit pas « induire en erreur les patients sur leur immunité » et conduire à « des utilisations à des fins collectives, telles que l’organisation du travail au sein d’une entreprise ou l’aide au déconfinement ». L'avis de la Haute Autorité reste cependant prudent en attendant de nouvelles données et publications scientifiques et il ne concerne pas les tests sérologiques ELISA à résultats rapides qui feront l'objet d'un prochain avis.
L'appréciation de la distanciation sociale est elle-même évaluée différemment selon les pays, d'un mètre en France à 1,50 mètre en Allemagne ou aux Pays-Bas ou deux mètres aux États-Unis, quand il semblerait que c 'est plutôt les deux mètres qui seraient eficaces, sans compter les effets de nos mouvements et du vent.
Il y a donc toutes les raisons de ne pas imaginer un « retour à la normale » singulièrement dans les régions les plus touchées.
Côté gouvernement et MEDEF, le mot d'ordre est à « la reprise » !
Si, dans un premier temps, on peut imaginer que le déconfinement même avec masques imparfaits et tests incertains pourrait être vécu par certaines et certains comme une libération, le risque qu'il induit pourrait encore alimenter la colère contre un gouvernement qui donne l'impression d'un inquiétant amateurisme et d'une profonde inconscience voire inconséquence, toujours axé sur le PIB et oublieux du bonheur brut de la population. Ce serait un peu comme confondre le débarquement test à Dieppe en 1942 avec celui du 6 juin 1944 en Normandie !
Difficile d'imaginer que la « continuité économique » pour le gouvernement et le MEDEF soit là pour la santé sociale et économique des salarié.e.s quand les ordonnances leur promettent sang et sueur après le temps de l'enfermement, pardon du confinement.
Un confinement qui aura continué d'exposer une partie des salarié.e.s au virus, sans protections, pour une production qui n'a aucune utilité directe dans la lutte contre la propagation du virus. Et quand un inspecteur du travail lance un référé contre un employeur qui les ignore, il a droit à une sanction de sa hiérarchie et de sa ministre Mme Pénicaud. La « continuité économique », ce sont les 36 milliards de dividendes qui ont été distribués aux actionnaires pendant que le gouvernement faisait semblant de s’apitoyer sur le sort des petites et moyennes entreprises. Que n'a-t-il fait le nécessaire pour mobiliser ces sommes dans un fonds de solidarité pour préserver notamment leurs emplois ? Les dons ne font pas l'impôt et il est vrai que ce gouvernement préfère la suppression de l'ISF et la flat-taxe pour les entreprises... Il est plus chiche avec les éudiant.e.s ou précaires de moins de 25 ans envers lesquels il prévoit une aide de... 200 euros ! |
Business as usual !
Dans un tweet gouvernemental du 2 mai, le tableau des différences en matière de déconfinement à partir du 11 mai entre départements verts et rouges n’apparaît pas d'évidence.
A part parcs et jardins et collèges, aucune différence entre les deux... dans un contexte où chômage partiel, retrait de jours de congés ou ARTT... seront source d'un profond dilemme pour nombre de parents à l'heure de décider ou non de remettre leur enfant en maternelle ou au primaire. Départements verts ou rouges, sauf avis contraire du Préfet, les commerces d'une surface de moins de 40 000 mètres carrés (Waves Actisud environ 61 800 m² ; Muse : 37 000 m²) et les marchés en plein air seront tous réouverts à partir du 11 mai à l'exception des bars, cafés et restaurants. Il est question de limiter le nombre de personnes et d'un respect des flux pour conserver un mètre de distance entre chaque personne. | |
Néanmoins le port d'un masque « grand public » est seulement « recommandé » quand la distanciation physique ne pourra être possible et le commerçant aura la « possibilité » de subordonner l'ouverture de son magasin au port d'un masque par le client, confère le discours du Premier ministre le 28 avril.
Concernant le monde du travail, non évoqué dans le tweet, le Premier ministre s'est contenté d' « inviter » les entreprises « quand leurs moyens le leur permettent, à veiller à équiper leurs salariés. C’est une condition de la reprise » en cas d'absence de distanciation possible.
ALORS VIGILANCE, VIGILANCE, VIGILANCE ! | ALORS VIGILANCE, VIGILANCE, VIGILANCE ! Des tests fiables pris en charge pour toutes et tous, le port de masques gratuits, fiables et adaptés et le maintien d'une distanciation physique sont essentiels pour garantir la protection de toutes et tous si on veut éviter que la courbe de la contamination ne reparte à la hausse et remette en cause les efforts de la population et des personnels de santé qui ont déjà payé un trop lourd tribut à une gestion calamiteuse de la pandémie ! Il est impossible de parler de « reprise » et de « retour à la normale » à cette heure ! La santé publique est la priorité ! |
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