Pour faire face aux conséquences économiques - et accessoirement sociales - de la crise sanitaire, les propositions se multiplient au niveau des états européens et de l'Union. Dès avril, le premier ministre espagnol proposait l’émission d’une « dette perpétuelle » - sans date de remboursement contre une « rente » sous forme d'intérêt versé aux détenteurs des titres de cette dette - pour financer un fonds de relance de 1.500 milliards d’euros. Le 15 mai le Parlement européen votait une résolution en faveur d'un « fonds de relance et de transformation » d’un volume de 2.000 milliards d’euros, financé « par l’émission d’obligations de relance à longue échéance », sous « la forme de prêts et, en majorité, de subventions, de paiements directs en faveur de l’investissement et de capitaux propres », un fonds s'ajoutant au budget de l'UE.
Il y a plan de relance et plan de relance…
« Temporaire et ciblé », le « fonds » franco-allemand serait quant à lui financé par des emprunts de la Commission européenne sur les marchés financiers, encore eux, « au nom de l’UE ». Pas question de déroger aux sacro-saintes règles budgétaires de l’union. « Il faudra rembourser cet argent », dixit Angela Merkel. Rien à voir avec l'annulation pure et simple de la dette rachetée par la BCE proposée par certain.e.s économistes. Rien à voir avec l'émission directe de monnaie par une banque centrale en direction des ménages. « Commune » aux 27 états membres, la dette serait remboursée par la Commission à partir d’une augmentation après 2027 de la contribution de chacun de ses états, en fonction de son PIB, au budget de l’Union dans le cadre d’ « un plan de remboursement contraignant ».
Du plan franco-allemand au plan de la commission européenne : les annonces Ce 27 mai c'est enfin la présidente de la commission européenne qui a décliné ses propositions. La commission propose d’emprunter... sur les marchés... 750 milliards d’euros reversés aux états sous forme de subventions pour 500 milliards et sous forme de prêts pour 250 milliards |
Dans ce schéma, loin encore d’être adopté à l'unanimité par les 27 pays membres, les subventions seraient remboursées par le biais des contributions de chaque pays au budget européen et via des ressources propres au niveau de l’Union grâce à différentes taxes (taxe sur les entreprises numériques dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros par an dans l’UE, taxe sur les entreprises qui génèrent d’importants bénéfices grâce à l’existence du marché unique européen, taxe carbone aux frontières de l’UE pour une rentrée espérée à partir de 2024 de 35 milliards d’euros supplémentaires par an à comparer à un budget d’environ 1.100 milliards d’euros sur sept ans). Les prêts seraient directement à la charge des États.
« Les failles du contrat »
L’objectif affiché (financer des programmes d’investissement pour la transition écologique, la numérisation et les nouvelles technologies, et les réformes et les programme de santé dans les différents pays) attend - et ce n'est pas un détail - qu’en soient précisés les critères.
A l’instar du plan franco-allemand, ces sommes seraient destinées aux pays où la pandémie a créé le plus de besoins. En dehors des règles de proportionnalité entre pays de l’Union, ces pays toucheraient plus qu’ils ne seraient amenés ensuite à payer. Reste que les contribuables des pays européens continueront de rembourser les dettes, qu’elles soient celles de leurs États ou de l’UE.
Le dossier de presse du projet franco allemand n’affirme-t-il pas que l’Europe devra recueillir « un engagement clair des États à suivre des politiques économiques saines et un programme de réformes ambitieux » ?!!? Autrement dit faut-il entendre par là comme cela s'est passé en Grèce une politique drastique de déréglementation, de baisse des salaires, des retraites, de casse total de tous les services publics, de l'hôpital public et de destruction de notre Sécurité Sociale déjà en cours ?!!?
A l'instar des pays victimes déjà des politiques mises en œuvre au nom de l’Union européenne, de celles qui ont saccagé leurs systèmes de santé, de service public et de protection sociale, et dont les dettes qui les étranglaient déjà précédemment au nom des dogmes libéraux de l’Union (2.200 milliards au bilan de la Banque Centrale Européenne aujourd’hui) ne vont pas disparaître et nourriront les dettes de demain. Tout comme la procédure de contrôle budgétaire, provisoirement suspendue.
Les besoins, ils sont connus !
La pandémie de Covid-19 a contraint de nombreuses et nombreux salarié.e.s à interrompre leur activité. Les chiffres du chômage ont explosé. Selon une estimation du ministère du Travail, environ 8,6 millions de salarié.e.s ont été placé.e.s en chômage partiel au mois d'avril. Ce même mois, selon la DARES (Direction de l'Animation de la recherche, des Études et des Statistiques), le nombre de demandeurs d’emplois en catégorie A, c’est-à-dire n’ayant pas du tout travaillé au cours du mois, augmente de 843.000 (+ 22,6 % après + 7,1 % le mois précédent). Sur 3 mois, l’augmentation est de 1.065.200 demandeurs d’emploi supplémentaires, un chiffre alimenté par la disparition massive des petits boulots.
Alors que le gouvernement annonce que les entreprises devront, à partir du 1er juin, payer 15 % du chômage partiel jusque là pris en charge à 100 % par l’État pour 84 % de salaire net versés au ou à la salarié.e, les organisations patronales avertissent déjà : « il faudra s'attendre, c'est inévitable, à ce que les entreprises commencent à licencier économiquement » (Confédération des petites et moyennes entreprises ou CPME). Garantir le maintien du revenu au salarié.e victime de la crise, voici un besoin identifié pour un plan de relance… mais...
… pendant ce temps là… … l’État a accordé sa garantie à un prêt bancaire à Renault à hauteur de 70 à 80 % d’un montant de cinq milliards d'euros. 5.000.000.000 qui n'empêchent nullement le constructeur, qui a également bénéficié jusque fin mai de la prise en charge à 100 % par l’État du chômage partiel et bénéficiera de la prime à la casse, d'annoncer la suppression de 4.600 emplois en France (hors fournisseurs et prestataires), dans le cadre d'un plan d'économies de plus de 2.000.000.000 d'euros sur trois ans et de la restructuration de six usines dans le pays. En 2019, c’est 1.000.000.000 de dividendes qui ont été versés aux actionnaires. |
Alors que la crise sanitaire va laisser des traces dans les pratiques et dans l’accès au commerce, les plans actuels font la part belle à l’Entreprise et à ses actionnaires et le comportement de ces derniers ignore l’incertitude qui pèse sur celles et ceux qui craignent aujourd’hui la perte de leur emploi. Chômage partiel rémunéré à 84 % du salaire net, prélèvement de jours de congés et ARTT dans la Fonction Publique, les plans de relance annoncés ne font pas le pari de la hausse des salaires mais favorisent bien plus sûrement la rémunération du capital à travers toujours les mêmes plans de restructuration et de décomposition du tissu économique et social. Premier de corvée ces dernières semaines, l’hôpital et ses personnels sont eux-mêmes toujours dans l’attente d’annonces concrètes.
La solution ? Notre solution ?
Voici comme contribution au débat trois extraits du plan de sortie de crise élaboré par Solidaires avec la CGT, la FSU, ATTAC, Oxfam et 16 autres organisations associatives et syndicales. repensant « l’économie, comme système de gestion des ressources et des besoins » « afin de rompre le cercle vicieux du productivisme et du consumérisme ».
« Le rachat de dette publique en lui donnant le statut de dette perpétuelle avec un taux d’intérêt nul (ce qui reviendrait de fait à une annulation des dettes publiques) et le financement direct des plans d’urgence et de reconversion des États et collectivités locales par la création monétaire, sont autant de leviers nécessaires pour s’affranchir des marchés, financer la solidarité et la transition écologique. »
« La refonte collective de nos modes de production, de mobilité et de consommation passe par des politiques publiques garantes de l’intérêt général. Des réformes importantes de la formation professionnelle sont essentielles pour assurer cette reconversion, en assurant à chacun·e une sécurité de l’emploi et du revenu. Il faut pleinement intégrer les travailleur·euses dans les processus de décision, car elles et ils sont les plus à même de proposer des changements en profondeur vers la production de biens et de services de qualité, répondant à l’urgence sociale et écologique. Les questions de la socialisation et de la structure des entreprises doivent être posées. » « La logique de collectivisation des pertes et de privatisation des bénéfices doit être remplacée par la recherche de l’utilité sociale et écologique de toutes nos activités, en commençant par revaloriser immédiatement les métiers d’utilité publique. »
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Metz le 4 juin 2020.
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